Le pichet de Renée ...
Mon père, Hubert, m’a donné ce pichet alors qu’ils vidaient, avec Alain son frère, la maison de Chabris à la mort de ma grand-mère Pierrette, en 2001.
Ce pichet lui rappelait bien des souvenirs ; c’était le ‘quart de vin’ de sa grand-mère, Renée Chauffeteau, la mère de Pierrette. Mon père me disait l’avoir toujours vu à chaque repas de sa grand-mère, trônant sur la table…
A la fin du XIX° et jusque vers les années 1960, le vin dans la vie quotidienne, – (d’une famille rurale en particulier), était considéré comme une boisson nourrissante, fortifiante.
À cette époque, le vin n’est pas une boisson festive ou occasionnelle, mais un aliment de base
- Il est perçu comme énergétique, presque thérapeutique.
- Il accompagne tous les repas, y compris le petit-déjeuner dans certaines régions.
- Il est souvent considéré comme plus sûr que l’eau, notamment dans les villes où l’eau potable n’est pas toujours fiable.
Des quantités aujourd’hui inimaginables étaient bues par les adultes, homme et femme, et dans une autre mesure par les enfants ; Un adulte paysan ou ouvrier pouvait consommer entre 1 à 2 litres de vin par jour, parfois plus. Le ‘quart de vin’ était une mesure courante : 25 cl, un quart de litre, c’était une dose « raisonnable » pour un repas.
Le vin était si ancré dans la vie que même les enfants y avaient droit, souvent coupé d’eau , en particulier à l’école.
Jusqu’aux années 1950-60, il était habituel qu’on serve du vin ou du cidre dans les cantines scolaires ; surtout en zone rurale, à partir de 10 ans environ, sous forme de vin léger ou coupé à l’eau.
C’était souvent un vin « de table », rustique, local, parfois acide, que les enfants apprenaient à « apprivoiser ». En 1956, une circulaire du ministère de l’Éducation nationale limite le vin à l’école aux seuls élèves de plus de 14 ans.
Le vin coupé à l’eau était une pratique courante, – (c’est d’ailleurs ce que faisait synthétiquement ma grand-mère Pierrette, quelque soit la qualité du vin, au grand dam de mon père dans les grands diners de famille) ;
Cette habitude (le « vin trempé ») avait une double fonction : modérer les effets de l’alcool et rendre buvable un vin rugueux, acide ou trop fort.
Elle était transmise culturellement : les anciens buvaient ainsi, les enfants imitaient. Cette dilution participait de l’idée que le vin était un liquide de tous les jours, à adapter selon l’âge, le travail ou la saison.
Au fil du XXe siècle, plusieurs évolutions ont changé la donne :
- La baisse du travail physique, la motorisation, et l’accès à d’autres boissons (café, lait, soda).
- Les campagnes de santé publique et la prise de conscience des risques liés à l’alcool.
Le vin est progressivement passé de boisson ordinaire à produit culturel, de terroir, puis à objet de consommation plus modérée et choisie.
Dans notre mémoire, il reste le ‘quart de vin’ de Renée, le pichet de Renée…
