Vierzon- Paris... Paris- Vierzon...
Charles Thébault,– (l’arrière grand père maternel de Gisèle ma grand mère), Charles est un journalier, il n’a comme richesse que sa force de travail ;
Il travaille aux champs pendant la saison agricole, du début du printemps jusqu’à la mi -automne ;
Les travaux agricoles s’achevaient en octobre (récoltes, vendanges, labours d’automne), laissant une période creuse.
Les journaliers partaient alors, souvent en bande, rejoindre les grands chantiers urbains.
Les pères de famille, accompagnés de leurs fils en âge de travailler, partaient souvent à pied ou en train (s’il y en avait un à proximité) vers les grandes villes ou zones de travaux.
Ils participaient alors aux grands chantiers haussmanniens ou ferroviaires (encore nombreux en 1880) : Paris, Orléans, Tours, voire plus loin (Nantes, Lyon, Bordeaux). Ils participaient également aux chantiers d’aménagement public : ponts, barrages, canaux, … et tous travaux de terrassement, maçonnerie, voirie, pour construire ou entretenir routes et chemins.
Puis ils revenaient,vers mars-avril, pour les semis, les labours de printemps et l’entretien des fermes.
Le cycle agricole et climatique dictait ainsi leur calendrier de travail.
Octobre venant, Charles monte donc à Paris ; seul d’abord, puis avec ses fils, à partir des années 1875, – quelque temps après la guerre franco-prussienne de 1870 ; ses fils : Charles junior, Léon, Félix ;
Abel, le quatrième de la fratrie, né en 1863, les rejoindra un peu plus tard, dans les année 80 ;
Ils travailleront, notamment sur le canal de l’Ourcq , plus précisément sur le réaménagement du canal de Saint Denis en banlieue Nord de Paris.
Cette vie use les corps prématurément.
Ces chantiers, notamment pour les plus jeunes, sont l’occasion de voir d’autres horizons, de fréquenter d’autres personnes, au-delà de leur village ; c’est une grande nouveauté par rapport aux ainés ;
Avant 1850, l’horizon du paysan est essentiellement local. La majorité des paysans vivent en autarcie relative. Leur monde est borné par leur paroisse. la mobilité est très faible, sauf pour les migrations saisonnières ou la transhumance dans certains cas. La Révolution et l’Empire bouleversent les cadres anciens ; Le rôle de l’État et la circulation des idées (notamment via les écoles, les conscrits et les curés) commencent à élargir les horizons, – ‘mentaux’ dans un premier temps ;
La Révolution Industrielle, et l’arrivée du Chemin de fer, bouleverse les mentalités, favorise les échanges. Les foires régionales, journaux, instituteurs républicains jouent un rôle fondamental dans l’ouverture culturelle. L’exode rural vers les pôles industriels ou vers Paris devient significatif.
Soyons honnête ! cet horizon s’élargit essentiellement pour les hommes… Les femmes devront, hélas, attendre après la seconde guerre mondiale pour ‘voir du pays’ ; leur horizon ne s’étend souvent qu’en suivant leur mari.










Les Thébault, défaillance et solidarité fraternelle...
Entre 1857 et 1863, Charles a 4 fils, Charles junior, Léon, Félix et Abel ;
1875, donc, Charles a 42 ans ; il quitte Vierzon à l’automne avec trois de ses fils âgés de 14 à 18 ans ; ils quittent Vierzon pour devenir terrassier sur des chantiers en région parisienne, – (Abel, 12 ans, est encore trop jeune). Ils quittent Vierzon pour Paris à pied…
5 à 7 jours de marche en passant par les ‘nationales’, c’est plus sûr ; il y avait bien le train pour Paris à Vierzon, – La ligne Paris-Orléans a été prolongée jusqu’à Vierzon en 1847, permettant de relier Paris à Vierzon en quelques heures seulement ; mais ça n’est pas pour eux ; un billet de train , c’est trop cher ; un terrassier gagnait environ 4,85 francs par jour. Le prix d’un billet de train pour Paris, 12,80 francs, soit près de trois jours de salaire…
Charles part avec ses fils…
Ses fils mineurs sont sous son autorité ; ce ne sont pas que des mots : l’autorité paternelle est une réalité ; une réalité juridique, depuis le code Napoléon, économique, même pour les ‘sans-terre’, et morale.
Le travail est organisé par le père, qui demeure le chef de la « troupe familiale de travail ».
On les retrouve donc sur les mêmes chantiers en banlieue Nord de Paris ;
Ils rentreront tous à la belle saison, sur Vierzon, pour travailler aux champs.
1885, dix ans plus tard, les 4 fils se sont mis en règle avec le service militaire ; avec plus ou moins de réussite, – (Charles junior, droit dans ses bottes, est devenu caporal, – Léon, notre aïeul, envoyé en Algérie pour ‘réprimer’ l’insurrection, a ‘écopé’ d’un séjour en prison pour insubordination ; Félix, inapte au service actif, est versé au service auxiliaire ; Abel, exempté, deux de ses frères étant au service),
Le service militaire constitue souvent la première véritable sortie du giron paternel.
Il introduit les jeunes hommes à une autre autorité (l’État, l’armée).
A leur retour de l’armée, ils reviennent plus formés, plus matures, moins enclins à une obéissance automatique ; ils relativisent l’autorité du père.
S’ils partent encore ensemble, père et fils, en 1885 chacun choisit son chantier : Charles père, Léon et Abel en banlieue Nord ; Charles junior près de Rambouillet, Félix près de Versailles.
Si Charles junior et Félix prennent femme à Vierzon, Léon et Abel rencontre leur ‘future’ au travail.
Des 4 frères, seul Charles junior retourne vivre à Vierzon ; près de ses père et mère ; près de ses sœurs.
Léon, Felix et Abel restent et fondent leur foyer loin de leur ville natale, là ou se trouve leur gagne-pain; pour eux il n’est plus question de migration saisonnière ; ils sont devenus ouvriers ; ils sont devenus prolétaires.
L’industrialisation et l’urbanisation modifient la structure familiale : on passe de la famille « souche » (multi-générationnelle, rurale, hiérarchique) à la famille nucléaire, autonome, et plus éclatée géographiquement.
La logique est désormais : « on part ensemble, mais chacun construit sa propre trajectoire. »
On assiste à la transformation d’un modèle patriarcal rural (même pour les sans-terre) vers un modèle ouvrier plus individualisé, où l’autorité du père devient transitoire ; où la famille ne fonctionne plus comme unité de production durable ; où les fils, une fois formés ou après le service militaire, deviennent des individus à part entière, à la fois économiquement et socialement.
1892/1893 – Charles père a 60 ans ; il vit maintenant à plein à Vierzon avec Françoise ; ses revenus sont bien maigres ; la solidarité familiale est primordiale.
à Vierzon, il peut compter sur son ainé Charles junior ; sur ses filles Léontine, (l’ainée), et Charlotte qui se sont mariées le même jour, en1890 ; il y a aussi, plus jeune, Abelina, qui s’est mariée en 1892 ;
Seulement, Charles père a encore 5 jeunes au foyer ; la plus jeune Lucie a tout juste 13 ans…
Abel est le premier des 4 ainés à mourir de ses conditions de vie ; il meure le 31 mars 1892 ; il n’a que 29 ans ; Il meure à Saint-Nom la Bretèche, en région parisienne ; seul, loin des siens.
Léon, (notre aïeul), le suit peu après, en juin 1893 ; le 30 juin ; il meure chez lui, ‘au domicile conjugal’ à Gennevilliers ; à 34 ans ; Léon a 2 enfants, 2 filles ; Aline son épouse attend son troisième.
Cette vie use les corps prématurément.
Aline, l’épouse de Léon, (notre aïeule, grand-mère maternelle de Gisèle), n’a plus de parent en région parisienne ; sa mère est morte en 1883, peu avant son mariage avec Léon ; son père également, en 1891, à Versailles, comme un gueux ;
Dans son état, à 6 mois de grossesse, avec deux petites à charge, elle demande aide à sa belle-famille à Vierzon.
Mais c’est une belle-fille… et Léon avait choisit de faire vie loin des siens ; tout juste l’aide-t-on à accoucher ; c’est la sage femme et un ami de la famille qui déclare l’enfant, en septembre 1893 ; le 11 septembre ; c’est une petite fille , elle s’appelle Léontine, comme son père ; Léontine, (la jeune), c’est notre aïeule ; la mère de Gisèle.
Aline est faible ; malgré son jeune âge, elle meure le 21 décembre 1893 ; à 24 ans ; à l’hospice ; c’est un infirmier et un garde-champètre qui serviront de témoin ;
à Vierzon … décembre 1893, 3 petites Thébault orphelines : l’une 7, l’autre 2 ans et un nourrisson de 3 mois ;
Que faire de ces trois petites ? Conseil de Famille ? tentative de prise en charge par les oncles et tantes des 3 petites ?
On retrouve dans les archives de l’Assistance Publique, la trace des deux plus jeunes, 9 mois plus tard ;
Une lettre du 24 octobre 1894 de l’Inspecteur départemental informe le Directeur de l’Agence des enfants assistés de la Seine à Romorantin qu’il peut envoyer chercher Alphonsine et Léontine confiées à l’Hospice de Bourges ;
En marge d’un autre courrier, on apprend que l’état de santé de Léontine, (teigne et eczéma généralisé), a retardée sa prise en charge. Elle ne sera effective qu’en avril 1895 ;
Alphonsine est confiée aux époux Coufrant à Lanthenay en octobre 1894 ; Léontine après un passage à la pouponnière de Bourges, est confiée en avril 1895 aux époux Jolly-Duhomme aux Aubiers à Lanthenay également ; les époux Jolly qui nouerons une belle relation avec Léontine puisqu’elle leur confiera la garde de Gisèle, nourrisson.
Alphonsine et Léontine ont donc été prises en charge par l’Assistance Publique.
Pauline, l’ainée des trois sœurs ? je l’ai longtemps cherché ; c’est en étudiant le recensement de Vierzon de 1906 que je l’ai retrouvé ; hébergée chez sa tante Charlotte.
Comment peut-on expliquer cette différence de traitement ?
A défaut d’élément tangible, (je les cherche actuellement), on peut émettre l’hypothèse que la famille (ou Charlotte, la tante qui recueille l’aînée de 7 ans) a essayé de prendre en charge les trois enfants. Rapidement, il est probable que les moyens matériels ou physiques ont manqué pour s’occuper aussi des deux plus jeunes (2 ans et 3 mois).
Peut-être, après plusieurs mois d’essai (environ 9 mois), la tante ou une autre personne de la famille a demandé l’aide de l’Assistance publique, mais seulement pour les deux plus jeunes.
Défaillance et solidarité familiale… défaillance et solidarité fraternelle…
La vie est triste à Vierzon…
Dans l’article prochain nous poursuivrons notre périple à Vierzon à travers les Chauffeteau, …